La porte du Hammam était verrouillée.
Les ferrures dataient de l’époque du ksar, comme les dattiers qui entrelaçaient leurs palmes avec nonchalance.
Derrière les veines épaisses du bois, elle sentait leur souffle. Elle sentait les mèches d’olivier claquer sous la pierre centrale et les vapeurs de la Javel remontaient la rue, effaçant au passage les histoires que les femmes avaient partagées la veille.
Elle frissonna.
Il était tôt. Trop tôt peut-être. Fouzia lui avait répété plusieurs fois ce matin là qu’elle devait se méfier : « Ma fille, ce sont toutes des vipères, Allah me pardonne, mais sous le miel, il y a le fiel, tu verras. Tu verras, ma fille, ce que je te dis. N’écoute pas leur langue. ». Et elle avait pressé sa main par dessus la table comme elle le faisait avec les figues pour en apprécier le moelleux.
Un seau d’eau a été déversé sur la terre battue.
Une fillette surgit de l’angle de la ruelle, un pain rond et doré, plus grand que son visage, dans le creux du bras. Short éponge vert, baskets et chouchous roses, les yeux sombres du Drâ, ongles du Rif décorés au pinceau, l’odeur du pain envahit la ruelle, puis sa bouche. Puis sa bouche encore.
Elle hésita. Puis, elle souleva le heurtoir.
Il était lourd. Lourd et chaud comme un corps endormi.
Elle vacilla, se rattrapa de justesse au chambranle.
Le désert cognait derrière elle. Une cage vide suspendue à une enseigne se balançait, un bout de ruban rouge noué le long des barreaux.
*
A l’intérieur, le craquètement des femmes avait redoublé, amplifié par la pierre et l’eau que les vapeurs répercutaient d’une pièce à l’autre.
Elles lui avaient fait boire un thé sucré. Peut-être parfumé à la coriandre et à la fleur d’oranger.
Puis elles lui avaient lavé le corps et les cheveux, longuement, sensuellement, avec des onguents et des plantes mystérieuses, elles avaient savonné, rincé, huilé, pétri, son corps et ses cheveux. Chaque partie. Chaque surface, savonnée, rincée, huilée, pétrie. Son corps et ses cheveux.
Une radio portative crachotait les accords de « I want to be love for you » et elle se dit qu’elle pouvait flotter, que personne n’irait la chercher jusque là.
Elle entendit les seaux qu’on continuait de verser sur elle comme des claques, les brosses qui s’abattaient sur son crâne. Elle entendit les youyous et les rires comme de la rocaille. Elle entendit les gants qui frictionnaient sa peau jusqu’au détachement, jusqu’aux bleds de Taskan et de Tafraout, elle entendit les guitares ngawah.
Elle entendit la porte battre deux fois dans un craquement d’os.
Elle vit les ciseaux.
Elle pensa à Fouzia.