Jeanne/ opus 3

       Objet mythique: Le henné

    Le mercredi 8 avril 2002, Jeanne prit une chambre à Dieppe. Elle avait auparavant déroulé des kilomètres d’étendues dorées, parsemées de touches rouge coquelicot, après avoir longer la Seine qui creusait un chemin entre les hautes falaises crayeuses du Pays de Caux.
    L’hôtel du Port n’avait rien de luxueux mais les chambres étaient propres et simples. Comme toujours lorsqu’elle arrivait dans un hôtel, Jeanne dégagea les couvertures du lit et le drap du dessus pour vérifier l’état de la literie. Roide, grossière et blanche, impeccable. Elle ouvrit la fenêtre pour entendre les bruits de fin de journée, les saluts guillerets, les roulements des chariots du fleuriste en bas : « C’est fermé ! Bon, qu’est-ce qu’elle voulait la demoiselle, des tulipes, et voilà 5 euros parce qu’elle a un joli sourire ! ». Les chaises qu’on place et déplace en terrasse, les verres qui s’entrechoquent :La bière c’est pour qui ?
    Jeanne sortit du sac plastique la petite bouteille de produit ménager qu’elle venait d’acheter pour nettoyer les traces que le henné ne manquerait pas de laisser sur l’émail du lavabo et pour calmer sa phobie des sanitaires douteux. Elle commença par la baignoire, s’acharnant à la faire briller car elle comptait bien passer la majeure partie de la soirée dans un bain aux huiles essentielles qu’elle avait passé une bonne demi-heure à choisir en para-pharmacie.
    Puis elle ôta la boîte de henné du sac en papier, vérifia qu’on lui avait donné le bon produit- naturel et pas neutre. Petit sachet compact, la pellicule transparente menaçant de s’éventrer sous la densité de cette poudre verte si odorante. Quand elle l’ouvre, bien sûr Jeanne laisse toujours s’échapper un nuage couleur argile. Elle retourna dans la chambre, balaya du regard le lieu exigu et simplifié, élut le vase en forme de pichet pour recevoir la potion qui redonnerait à ses cheveux le flambant de leur adolescence. Sa bouilloire claqua lorsque l’eau se mit à frémir. Le liquide brûlant forma un cratère fumeux dans la poudre tandis que le métal de la cuiller fouillait le fond de nacre. Bouillie que les mains de Jeanne malaxent lorsqu’elle a refroidi. Décoction qui fige les traits en formant un masque plein de craquelures à l’endroit de la chevelure. Jeanne passait ses mains sous l’eau tiède, frottait et grattait de ses ongles salis les paumes qu’elle avait à présent cuivrées.
    Son réveil indiquait 19h35, il fallait donc s’occuper jusqu’à 20h05. Une serviette sur les épaules dont les pans sont retenus par une grosse pince à cheveux noire. Mettre certains vêtements sur cintres, balancer le linge sale dans la baignoire et le frotter au savon de Marseille, accroupie au bord le rincer à grandes eaux ; trente minutes passèrent ainsi. L’eau chaude coulait marron dans son cou et sur l’ensemble de son crâne, elle frottait encore et encore pour ôter les résidus de henné. Lorsqu’elle releva enfin la tête, son visage était cramoisi et sa nuque douloureuse. Une séance de séchoir plus tard, Jeanne se vit rousse dans le miroir, un petit sourire satisfait aux lèvres.