Tu ne peux pas répondre si on te dit be nothing,
tu serres les poings, oui,
les veines soulignent
le miroir de tes pieds redressés dans leurs chaussures martyrisantes,
écartés d’une quinzaine de centimètres,
tu n’as plus de ventre, plus de seins,
plus de face, plus de cerveau.
C’est facile quand on se réfugie dans un cabinet londonien,
un bazar net et hypnotisant,
personne n’est autorisé à vivre en ce lieu,
tu penses bien qu’on boit seul les chablis dans ce bordel canard et bordeaux.
Par contre, aux gravures,
aux photographies, encore moins au Che,
on ne lance be nothing.
Il y a toujours un intrus,
même si ce n’est pas aussi drôle qu’une girafe
parmi des tasses de thé victoriennes.
Autrefois on ne vivait pas à New York
mais dans les années 70’ – avant l’indépendance –
il y eut le temps de l’Angola,
la genèse de la diffraction qui fait répéter be nothing
dans l’ennui du club Versailles.
C’est dans ces instants de lutte,
de frontière entre kung-fu et capoeira
que surgissent les souvenirs du père.
Disons qu’il se nomme Don
et qu’au fin fond du Canada,
il mène désormais une vie couleur sépia
dans laquelle disparaît toute perspective.
Sans méchanceté aucune, be nothing.
Tu entres chez Tosi
et non sans avoir fait tomber un bocal de tomates
tu désignes l’huile d’olive
puis d’un geste flou
tu reprends ton blouson tombé à terre
au pied d’une pile de cartons,
provoquant le cliquetis des cintres au clou rouillé
et de l’autre main
tu attrapes ta casquette,
lançant be nothing au moment
où le fauteuil sur roulettes se met à grincer.
Après ces instants d’arrêt sur image,
on a la conviction
que la prochaine fois
qu’on entendra be nothing,
on saura rétorquer
que ce que l’on croit voir
n’EST PAS,
tout en soutenant le regard du videur
au grain de peau tavelé,
tel un roi en exil à Vancouver.